Hommage à Brahim Izri

« A ma naissance, ils ont dû faire la fête, entre ma venue et Yennayer, cela a dû être festif ! » disait le regretté Brahim Izri, né un 12 janvier de l’année 1954. Il aurait eu 70 ans aujourd’hui. Il nous a quitté un triste 3 janvier 2005, quelques jours après la mort de Mohya, le 7 décembre 2004.

Brahim Izri est né Ath Lahcène (At Yenni). Lui qui a été bercé depuis l’enfance par les musiques et les chants religieux de la zaouïa de Sidi Belkacem son grand-père paternel, fonde au lycée avec deux copains, Naït Abdelaziz et Aziz Berrahma, le trio Igudar (Les Aigles). De cette période date sa première chanson « Arus s uvarnous » et la reprise de « Cteddu-iyi », une berceuse que chantera Idir dans son premier album. Igudar participe de cette nouvelle génération d’artistes kabyles, floraison de créativités culturelles et militantes, qui portera les combats identitaire et démocratiques en Algérie. Ils se nomment Isulas, Inasliyen, Abranis, Imazighen Imoula et bien sûr Idir dont il sera le guitariste à partir de 1976, année de son installation à Paris. Il le sera trois ans durant avant de se lancer dans une carrière solo. A partir de 1981 et de son disque Sacrifice pour un enfant, Brahim Izri a enregistré six albums dont, en 1984 « Dacuyi » (« Qui suis-je ?»), chanson-titre de son deuxième album qui le fit connaitre du grand public. Nombre de ses compositions sont devenus des succès, comme « Lbudala » , « Ay ajuwaq », « Inid inid », « Yidem yidem », « Cteddu-iyi », « Anelḥu »… En 1999, il adapte la chanson « San Francisco » de Maxime Leforestier devenue « Tizi-Ouzou » reprise par Idir dans son album « Identités ».

« La chanson, une arme qui fait vivre »

Dans un entretien il déclare : « Je ne sais pas si une chanson peut être une arme, dans le sens d’essayer d’arranger des choses, de sensibiliser les gens pour qu’ils fassent, grâce à cette chanson, telle ou telle chose, comme l’abrogation du Code de le famille, l’application de la Plateforme d’El Kseur ou le rétablissement du week-end universel pour qu’on vive avec le monde entier… Il y a plein de choses comme ça : la laïcité, la liberté de culte… A travers une chanson on peut faire passer une idée. Elle peut être une arme (…) grâce à son contenu, grâce à ce qu’elle raconte, (…) elle peut drainer des foules pour défendre cette idée-là ; elle devient alors une arme, mais c’est une arme qui ne tue pas. Au contraire : c’est une arme qui fait vivre ! ». A propos du métier d’artiste il dira aussi : « si ce métier doit servir quelque chose, il faudrait qu’il serve la liberté de la femme ». Tout n’est sans doute pas dit ici, mais ces deux déclarations contiennent beaucoup de l’œuvre de Brahim Izri.

Engagé depuis ses débuts en faveur des droits des femmes, il dénonce le code de la famille, ce « code de la honte » ou de « l’infamie » qui fait de la femme algérienne une mineure à vie. En témoigne en particulier sa chanson « Porter la flamme » (en partenariat avec Kamel Hamadi). Elle sera chantée en kabyle, en arabe et en français par plusieurs chanteuses dont Massa Bouchafa, Amina, Amira et les choristes Agathe, Akila ou encore Nanou, sa compagne choriste et chorégraphe. Tout cela en 2001, avec « Algérie Lecture de Femmes », un collectif crée pour à la fois porter la lutte des femmes et les revendications de la Plate-forme d’El Kseur. Il s’engage aussi pour la reconnaissance de la langue et de la culture berbère, une défense identitaire qu’il inscrit, comme Idir, dans le cadre d’un universel partagé. Dans la chanson « Anelḥu » (« Nous marcherons »), il interroge « Dites-moi, dans quelle langue dois-je chanter ? » et de poursuivre : « Dis-moi, as-tu entendu parler du kabyle ? » sûr que « Nous marcherons, nous marcherons même si la route est longue ». Et d’interroger : « Pourquoi n’ouvrez-vous pas votre esprit pour changer votre propre monde ? (…) Nous parlerons kabyle, arabe et français. Nous avons juste besoin d’apprendre ».

Affiche du spectacle à La Cigale le 17 octobre 1993

Outre ces chansons et ces engagements, Brahim Izri a laissé l’empreinte d’un homme généreux, bon, humble, d’une gentillesse sincère, désintéressée. Profondément humain, il fut si ce n’est un ami de l’ACB, un proche et un fidèle du local de la rue des Maronites, attentif à nos initiatives, partageant nos fêtes et le cercle des amitiés. En 1993 nous l’accompagnions pour un concert à La Cigale. Le 22 juin 1995, il sera de la grande soirée du Zénith, organisée en solidarité avec l’Algérie par l’association Algérie la vie, créée entre autres par Idir. Brahim Izri nous manque, comme il manque à la chanson kabyle, comme il manque à tout ce qui compte en humanité. MH

Discographie
1981 : Sacrifice pour un enfant 1983 : L’Enfant de la terre
1984 : D acu-yi
1986 : Ala, ala
1988 : D ifrax i nella
1995 : A lbudala