Voilà une autre figure du premier âge de l’ACB qui nous a quittés. Salah Belkalem était connu du grand public comme chanteur. Il était aussi un passionné de théâtre et de comédie. Il avait rejoint l’équipe de l’ACB dans les années 90 où pendant plusieurs saisons il anima l’atelier théâtre : espace à la fois de formation et de création. Scrupuleux et rigoureux, Salah suivait chacune et chacun de ses élèves et s’employait à présenter un spectacle à la fin de chaque année. Ainsi était Salah, homme de parole et d’honneur. Discret – malgré sa haute taille – le regard doux et l’attitude posée, il travaillait et participait aux activités de l’ACB, s’engageait même dans le cercle restreint des membres actifs, sans faire de bruit, mais toujours fidèlement et efficacement.
Salah était un ami prévenant et généreux. Avec qui il était toujours bon de partager le couvert et de laisser la nuit venir. Il est parti, sans faire de bruit… Il avait 73 ans. « Mince ! Zut ! Mince ! Qu’est-ce que c’est que tout ça ?! » chantait-il ! Oui ! Qu’est-ce que c’est que tout ça…
Salut à toi l’ami.
Toute notre affection et solidarité pour Sahra et Yacine, et pour notre amie Malika.
Ci-dessous, Ameziane Kezzar rend aussi hommage à son ami Salah Belkalem.

Salah Belkalem est un chanteur des années 70. Qui ne se souvient de sa chanson « A y-azerzour/ô l’étourneau », diffusée largement par nos transistors ? Elle a résonné dans nos villages, comme toutes les chansons célèbres de l’époque. L’époque du « bon » public, celui qui écrivait des lettres à la radio pour demander de diffuser sa chanson préférée, qu’il dédiait à ses amis et aux initiales de ses amours secrètes.

Azerzour/étourneau, l’oiseau migrateur, celui qui voyage pour chercher sa pitance. Salah Belkalem l’avait fait aussi. Comme son étourneau, l’artiste avait traversé la mer à la recherche d’un ciel plus clément, d’un peu de liberté, pour pouvoir exprimer ses joies, ses peurs, ses frustrations et ses douleurs.

Salah Belkalem était un homme discret mais très sensible. Il portait cette part de fragilité qu’ont les artistes sincères, ceux qui donnent tout ce qu’ils ont et ce qu’ils ressentent. Jamais il n’a imposé ses états d’âme à qui que ce soit, ni ses chansons d’ailleurs. Jamais il n’a considéré ce qu’il donnait comme une part de sacrifice à sa culture ou à une cause. Il a offert tout ce que son cœur renfermait sans calcul et sans rien attendre en retour.  Rarement il parlait de son travail, au contraire, quand il croisait un autre artiste, il lui demandait ce qu’il faisait. Il encourageait tout le monde.

Il aimait les chansons et les livres ; il aimait les grands textes de théâtre des auteurs français qu’il enseignait avec passion à ses élèves de l’Association de Culture Berbère de Paris. Chauffeur de taxi la nuit, il sillonnait infatigablement Paris et sa banlieue pour gagner sa vie, car en plus de sa passion artistique, spécialement théâtrale, il était aussi un père de famille prévenant et généreux.

Il avait fait à Paris sa formation de comédien, puis de professeur. Il parlait un français châtié, sans accent. Il consacrait son temps libre à l’étude des textes du répertoire théâtrale. Il avait donc enseigné pendant des années à l’ACB-Paris, créé des spectacles avec ses élèves, avant de se lancer dans un duo en kabyle avec son ami Aatman Trisiti, l’auteur du célèbre poème « Trisiti ».

Ces dernières années, Salah souhaitait remonter sur scène pour jouer en kabyle. Mais, aussi bien ses problèmes de santé que la rareté de la production et de la création théâtrales de la diaspora kabyle l’en ont empêché.  Il en est resté sur sa faim. Encore une fois, au dam de l’étourneau, ce que Salah voulait réaliser à Paris se trouvait… de l’autre côté de la Méditerranée.

Nous avons demandé à Aatman Trisiti d’évoquer son ami et son ancien partenaire de scène. Une façon de rendre un modeste hommage à un grand Monsieur. A Salah Belkalem, l’ami, le chanteur et l’homme de théâtre.

A. K : Bonjour Aatman, peux-tu d’abord te présenter ?
A. T : Azul a Meẓyan. Je m’appelle Aatman et c’est le public n Iɣzer Umizuṛ qui m’a surnommé TRISITI en 1982, à cause du poème satirique que j’ai fait sur le problème d’électrification des villages kabyles (mon village n’a accédé à l’électricité qu’en 1988, soit quelques mois avant ma « fuite » (d’où la pièce TAREWLA quelques années plus tard).  C’est le grand Muḥend U Yeḥya qui m’a amené à faire de la poésie, en écoutant ses K7 gratuites vers 1979-80, ses textes et ses adaptations théâtrales qui ont révolutionné notre culture. C’est lui Afrux nni i ten d-yesnin wa deffir wa, ɣas a tt-iliḍ d aquran, a ten tt-ruḍ ur d ak-yehwi … Entre 1982 et 1988, j’ai écrit des chansons, que j’ai chantées avec Lakhdar Bazizi dans beaucoup de villages de la wilaya n Bgayet surtout pendant les soirées de Ramadan… J’ai aussi écrit deux pièces de théâtre : une pour le centre culturel n Iɣzer Umizuṛ avec la complicité de Yazid Yessad et une autre pour l’Université n Bgayet avec Lakhdar Bazizi. En 1988, je suis venu en France en vacances et je suis resté, en faisant des études d’aménagement du territoire (3ème cycle) grâce à l’aide matérielle de Muḥend U Yeḥya  et son amie Fadma Amazit, une aide précieuse que je n’oublierai jamais.
En France, j’ai voulu d’abord éditer une K7 audio de mes chansons mais sans succès, car tous les éditeurs m’ont rétorqué qu’il faut que j’y ajoute des chansons de fête, entraînantes, pour que la K7 soit commercialisable. Puis, toujours grâce à Muḥend U Yeḥya, qui m’a tapé à la machine tous mes poèmes, j’ai réussi à publier un recueil intitulé « Satires et poésies sur l’Algérie d’aujourd’hui » avec une préface de Salem Chaker (sorti en 1995). Aussi, j’ai participé à pas mal de spectacles et dans les années 90, j’ai écrit la pièce de théâtre Tarewla dans laquelle j’ai intégré plusieurs de mes poèmes satiriques qui parlent de la situation critique des Algériens et de celles de nos compatriotes en France.

A. K : Quand as-tu rencontré Salah Belkalem
A. T : Salah, si je me souviens bien, c’est toi-même qui me l’a présenté, fin 2001 ou 2002. On a parlé théâtre et tu m’as dit que tu connaissais quelqu’un d’intéressant, qui a de l’expérience dans ce domaine. Effectivement, j’ai découvert que Salah était extraordinaire en matière de jeu théâtral contrairement à moi qui ne faisais que du one-man-show (debout devant un micro sans bouger, sans aucun geste scénique).

A. K : Vous avez joué combien d’années ensemble ?
A. T : On a joué en tout quatre fois la pièce Tarewla, dont seule la dernière a bénéficié d’un nombreux public qui l’a appréciée. Sinon, les autres fois, on jouait devant 15 à 20 personnes (au centre d’animation J. Verdier 75010 en 2003 ; chez Tamazgha en 2004, au Bouffon-Théâtre en 2006 et enfin au Royal-Est en 2017).
Juste après cette représentation au Royal-Est, nous nous sommes chamaillés pour des futilités et on ne s’est plus recontactés. Je regrette amèrement de ne pas avoir cherché à le revoir (le nnif kabyle est parfois destructeur). C’est vraiment dommage que personne ne m’ait informé de son hospitalisation, j’aurais été le voir.

K. A : Comment s’est fait le passage, pour Salah, du rôle de prof de théâtre en français à celui du comédien en kabyle ?
A. T : Naturellement puisqu’il est kabyle avant tout et qu’il maîtrise notre langue.
Son « ancienneté » dans la vie et sa maîtrise du jeu théâtral (vue sa formation) lui ont permis de bien rendre le texte sur scène. Dommage qu’il n’ait pas rencontré Muḥend U Yeḥya quand celui-ci avait une troupe. Ils auraient formé un duo du tonnerre !

K. A : Parle-nous un peu de votre association…
A. T : Notre association était plutôt amicale, basée sur notre passion pour le théâtre en général et le théâtre kabyle en particulier, sans aucun intérêt financier en jeu. Chacun avait son boulot et on se rencontrait pour répéter, en général dans son appartement, sauf à l’approche d’une représentation où on louait des salles dans des associations pour pouvoir jouer sans baisser le son (voisinage …) .
On se rencontrait selon nos disponibilités et nos maladies …

K. A : Quel genre de partenaire était-il ?
A. T : Pendant les répétitions, il était très scolaire et rigoureux. Dans son appartement, on faisait surtout des répétitions à l’italienne pour l’apprentissage ou la mémorisation du texte pendant plusieurs séances. Une fois le texte acquis, on enchaînait une série d’autres séances en récitant le texte avec les intonations, les expressions et les déplacements (très réduits dans l’appartement).
J’ai appris beaucoup de choses avec lui sur le jeu sur scène.

K. A : Et toi, as-tu des projets en solo ?
A. T : J’ai commencé en solo puis passé au duo et peut-être finirais-je en solo. J’attends ma retraite (bientôt) pour avoir le temps de créer des choses dans le numérique et pourquoi pas sur scène.

K. A : Un mot de la fin ?
A. T : En France, actuellement, il y a des ressources mais il manque des lieux pour les partager.
Beaucoup de gens voudraient bien s’exprimer à travers leurs créations mais on dirait qu’il manque des endroits et des occasions pour le faire.
Et que Salah repose en paix. Le pauvre, il s’est sacrifié, il a trop travaillé : A 70 ans, il n’était pas question pour lui de s’arrêter de faire le taxieur !!!

Ameziane Kezzar