Il est parti emportant avec lui son sourire malicieux. Le sourire de celui à qui on ne la fait pas. J’ai eu la chance de l’approcher à plusieurs reprises dans le cadre de son travail et lors d’une interview pour le film « Le voyage du Kabyle ». Cela se passait au musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, en 1991. Il était en France depuis plus de quinze ans et déjà il était devenu une vedette de dimension internationale. Il avait accepté, de bonne grâce, de répondre à mes questions. Dans ses réponses, il était facile de retrouver l’homme de combat et de convictions, engagé pour la reconnaissance (en Algérie notamment) et le rayonnement (dans le monde) de la culture berbère. Une culture qu’il dressait comme un rempart contre une arabisation synonyme d’oppression, de « déberbérisation », comme une négation des couleurs, du dynamisme d’un pays et d’un peuple. L’Un versus le multiple. Mais cette culture, kabyle et berbère, il la voulait exigeante et novatrice. Il vouait un profond respect à nos traditions et, dans le même mouvement, il refusait tout enfermement. Pour lui, la chanson devait suivre la marche de son temps, s’enraciner dans toutes les terres, dans tous les territoires, vivre au rythme des battements du monde et des peuples, et enrichir sa racine-mère si profondément implantée dans les montagnes du Djurdjura.                        À Cergy, en 1996, sur la scène nationale, dans le cadre de « Fenêtres Sud », entourés de 150 jeunes artistes de la ville, nous avions créé ensemble un spectacle pour la clôture du festival. Expérience inimaginable pour l’époque. Il avait accepté d’intégrer à son spectacle tous ces jeunes au risque de tout faire basculer, mais sa confiance dans l’aventure artistique l’autorisait à prendre tous les risques. Nous avions renouvelé cette belle aventure l’année suivante cette fois avec les jeunes de Noisy-le-Grand.
Évidement avec notre association, j’ai eu l’occasion  de travailler avec Idir, dans le cadre des grands spectacles que l’ACB organisait sur différentes scènes de Paris comme au Zénith. Sur les plateaux, parmi tous les artistes qui se produisaient, il était des plus discret. Au moment des «balances», quand nous discutions de son passage sur scène, toujours il s’accommodait de bon cœur des difficultés que nous pouvions rencontrer dans l’organisation de tels événements. Il se prêtait volontiers aux modifications de dernières minutes pourvu que rien ne nuise à la qualité de son spectacle : il avait trop de respect pour son public.
Ne pas avoir pu l’accompagner vers sa dernière demeure, restera pour moi un manque. Pour ses obsèques, toute la communauté, à commencer par ses amis et membres de l’ACB, auraient souhaité, en forme d’hommage, d’amitié, de respect, se joindre à sa famille. Cher Idir, toi qui a bercé et fait vibrer tant de générations, kabyles ou non, berbères ou non, d’ici et d’ailleurs, nous saurons te rendre un hommage digne de ce que tu nous as donné, de ce que tu as légué. Nous ne t’oublierons pas. Tu es désormais cette nouvelle étoile qui, dans le firmament, guide et guidera les pas de nouvelles générations sur le chemin de liberté où progressent, côte à côte, Imaziɣens et peuples du monde.  Comme tu le disais si bien, mon cher Idir, « il faut avancer parce que c’est le seul mot qui nous permette de faire que la vie continue et que l’on continue avec elle, il n’y a pas d’autre solution »…

« Même si j’ai jeté depuis bien longtemps ces sentiments d’honneur et de fierté « kabyles » par la fenêtre, car je pense que nous devons vivre tels que nous sommes c’est-à-dire simplement sans aucune fierté, être juste un homme, j’avoue que quand j’entends un artiste qui habite dans un pays très éloigné du mien, et qui a simplement ressenti ma mélodie, la reprend dans sa propre langue, je me dis que je suis arrivé, grâce ce que je transportes dans mon petit bagage musical, à communiquer avec lui au-delà de nos frontières et de nos différences religieuses ou autres, à lui inspirer juste une émotion et j’en tire beaucoup de plaisir et je me sens quelque part utile ! »  
(Idir, Actualités et culture berbères, n° 56/57, 2007)

Belkacem Tatem est le Président de l’ACB