Juba II

Mokrane Aït Saada est né en 1949 à Toudja, du côté de Bejaïa.  Après avoir officié comme  directeur de production à l’Office National pour le Commerce et l’Industrie Cinématographiques, de 1976 à 86 ; puis comme chef de département au Centre Algérien pour l’Art et l’Industrie Cinématographique, de 1986 à 1995, il se lance dès 1996 dans la production et la réalisation de films indépendants. Dans sa filmographie il faut notamment retenir les films-documentaires consacrés à Jugurtha, à Syphax, à Massinissa et à Juba II.

Massinissa, Jugurtha, Syphax, Juba II… c’est dire si Mokrane Aït Saada s’intéresse, à travers ces personnages ô combien emblématiques, à l’histoire lointaine de l’Afrique du Nord. Il en restitue ainsi, pour les plus jeunes notamment, ces indispensables repères culturels, ces éléments constitutifs d’identités mosaïques, irréductibles à une appartenance et à une historiographie linéaire et hors du monde. Une histoire enracinée dans un tuf berbère et méditerranéen. A travers ce travail consacré à la figure de Juba II,  Mokrane Aït Saada ne fait pas que plonger dans le passé. Les questions que porte ce film entrent en résonnance avec le monde contemporain. Son personnage inscrit l’histoire de l’Afrique du Nord dans une Histoire-monde, désenclavée, à tout le moins une Histoire euro-méditerranéenne  et africaine.

Fils de Juba Ier, le futur Juba II est né vers 52 av. J.-C à Hippone, l’actuelle Annaba en Algérie. A l’âge de cinq ans, après la défaite de son père à la bataille de Thapsus face à l’armée de César, il est enlevé et conduit en otage à Rome. Il y fut éduqué par Octavie, la propre sœur de l’empereur Octave. A vingt-cinq, pétri de culture gréco-romaine,  il est intronisé – par Rome – roi de Maurétanie. De retour en Numidie, Juba II fait de Césarée (Cherchell aujourd’hui) sa capitale. Césarée plutôt que l’antique Cirta (Constantine) parce que, comme le souligne le réalisateur, la ville côtière offre la possibilité de développer les échanges commerciaux avec l’extérieur et tout particulièrement avec la rive nord de la Méditerranée.

L’enlèvement de Juba II, ses longues années passées à Rome et sa fidélité à ses origines posent la question – très contemporaine elle aussi – de l’exil et des fidélités reçues en héritage – fût-il contraint. Face à Tacfarinas, le résistant et le guerrier qui mena la révolte contre l’envahisseur romain de 17 à 24, Juba II campe un roi poète, un bâtisseur et un pacifique, un pragmatique peut-être. La confrontation entre Tacfarinas et Juba II interroge, dans un contexte colonial à tout le moins d’hégémonie romaine, l’attitude, les méthodes, les choix politiques pour lutter contre cette domination et – sans craindre l’anachronisme – pour défendre ses langue et culture. Juba II mourut en 23 après JC, il régna rien moins que 50 ans !

Mokrane Aït Saada montre que l’histoire des pays du septentrion africain plonge loin dans le temps et est portée, par une langue du cru, à savoir le berbère plurimillénaire. D’ailleurs son film est écrit en kabyle et sous-titré en français. Ceci explique peut-être pourquoi, Mokrane Aït Saada poursuit, seul, son travail. Pour son Juba II, il a bénéficié, après moult discussions, d’insuffisantes subsides du ministère algérien de la Culture. Rien d’autre : aucunes institutions, aucuns sponsors ou mécènes. De sorte qu’il lui a fallu plus de cinq années pour pouvoir réaliser son film ; avec les moyens du bord donc. Voilà une autre illustration de la situation socio-économique des artistes et créateurs et des conditions de création en tamaziɣt.

Mokrane Aït Saada mêle fiction (voir notamment les deux et fortes rencontres imaginées entre Tacfarinas et Juba II) et documentation historique, portée par des entretiens avec des professeurs et spécialistes de l’histoire ancienne. Les personnages sont interprétés par Dahmane Aidrous (Juba II), Aldjia Belmessaoud (Séléné) et Slimane Grim (TaKfarinas). Les décors et accessoires sont signés Mohand-Saïd Idri et Samir Terki (Ecole des beaux-arts d’Azazga) et les costumes conçus par El-Boukhari Habbel. Ce Juba II est une réussite, gratifié de l’Olivier d’or au dernier Festival amaziɣ. Il est, pour le spectateur, une piqûre de rappel historique et une source de réflexions contemporaines.