France - Algérie

Une autre politique est possible

Par Romain Caesar

Certains médias français, à la moindre actualité politique qui secoue l’Afrique du Nord et le Sud de la Méditerranée, surnommée cyniquement « Maghreb », sortent la grosse artillerie – que je qualifie de « missel de gros mots » – tels « Printemps arabe« , « Voltaire arabo-musulman« … De qui se moque-t-on enfin ? Du lectorat français ? Des progressistes nord-africains et sud-méditerranéens qui refusent d’appartenir au monde arabo-islamique dans lequel les Orientalistes, les dictateurs arabes et les islamistes veulent les contenir ? 

Apulée est l’auteur des Métamorphoses
connues sous le nom de l’Ane d’or
Saint Augustin par Antonello da Messina

Ces médias ne veulent pas voir, en effet, dans les progressistes nord-africains et sud-méditerranéens des combattants pour la liberté. Ils préfèrent les confiner dans l’espace-temps arabo-islamique auquel ils n’ont jamais appartenu, et ne souhaitent pas appartenir. Mais, dans un discours performatif bien huilé, auquel nous sommes habitués, ces médias nous les présentent sans cesse et avec insistance comme de bons réformateurs religieux, eux, qui se veulent athées, agnostiques et laïques pour la plupart. 

Fidèle à sa grammaire, la doxa médiatique orientaliste a cette fâcheuse habitude d’enrichir, depuis sa création, la grande histoire arabo-islamique avec le sang et la sueur de l’Africain du Nord et du Méditerranéen du Sud. 

Ce genre de qualificatifs, désagréables et désobligeants, comme « Printemps arabe » et « Voltaire arabo-musulman« , n’encouragent aucun progressiste à lutter pour un monde ouvert et tolérant, ils les poussent plutôt à l’exil, à l’indifférence et à la démission. Ce qui arrange les affaires des dictateurs de la région et des islamistes, alliés de l’Orientalisme. 

La vieille doxa médiatique orientaliste se plait à limiter le monde arabo-islamique au Proche-Orient et à l’Afrique du Nord, elle oublie bien entendu les banlieues françaises, canadiennes, anglaises, espagnoles, italiennes, allemandes, américaines… Le monde arabo-islamique est partout aujourd’hui. La politique orientaliste a réussi à inventer l’Orient partout, même là où il n’existe pas. Elle le voulait exotique, érotique et sensuel, le voilà viril, conquérant et hégémonique.

Le temps est peut-être venu pour l’Occident de prendre conscience du mépris dont il est coupable vis-à-vis des Africains du Nord et des Méditerranéens du Sud : on ne les respecte pas en respectant l’idéologie arabo-islamique, mais en leur tenant un langage de vérité quant à leur histoire et à la nature de leurs régimes politiques. On ne les respecte pas en les victimisant, mais en les responsabilisant. On ne les respecte pas en les désignant par leur religion, mais par leur nationalité. On ne les respecte pas en les infantilisant, mais en leur parlant comme à des adultes capables de se remettre en question. On ne les respecte pas en les protégeant de l’islamophobie, mais en leur apprenant le sens critique. On ne les respecte pas en les regroupant en communauté, mais en les libérant de l’esprit de groupe et de l’endoctrinement religieux. On ne les respecte pas en les considérant comme des croyants, mais en les voyant comme des citoyens et concitoyens… (1)

Cette essentialisation ou ce mépris des formes, au fond, ne fait qu’augmenter la frustration de l’Africain du Nord et du Méditerranéen du Sud. Ce latino-franco-numide, descendant d’Apulée, de Saint Augustin, de Camus… 

Il est peut-être temps que la France et les pays occidentaux abandonnent leur politique orientaliste, dépassée et contre-productive, et invitent, par conséquent – pour ne pas dire contraignent – les pays « maghrébins » au respect de la réciprocité des droits : droits de culte, droits linguistiques, droits de l’homme, droits politiques, droits de sol, etc. Il faut que les non-Maghrébins bénéficient en Afrique du Nord et en Méditerranée du Sud des mêmes droits dont jouissent les « Maghrébins » en France et en Occident (2).

L’excuse de la dictature, de la souveraineté, de la terre islamique, de traditions, de l’histoire, de ce-n’est-pas-pareil et de ce-n’est-pas-le-même-contexte ne suffisent plus. La réciprocité des droits, de tous les droits, reste la seule et unique solution qui permettra d’instaurer une relation saine et équilibrée, basée sur le respect des droits, entre la rive sud et la rive nord de la Méditerranée. Sans cela, nous nous dirigerons droit dans le mur. Aveuglément.

 

Albert Camus

(1) « Si, dans la maison de la République, un membre n’est pas reconnu en tant que citoyen à part entière mais est désigné comme « musulman », indépendamment de son choix ou de sa foi comme l’étaient les musulmans d’Algérie sous la colonisation, alors il n’a pas sa liberté de conscience». Patrick Weil, De la laïcité en France, Grasset 2021 ; réed. Folio Gallimard 2022, 144 p.

(2) Ces droits ne concernent que les Maghrébins, pas ceux qui se disent Africains du Nord ou Méditerranéens du Sud. Ces derniers, en tant que tels, n’ont officiellement aucun droit ni en Occident ni en Afrique du Nord. Les seuls droits dont ils bénéficient sont ceux accordés aux Maghrébins et dans lesquels ils ne se reconnaissent pas.