Nous sommes tristes. Une fois encore. Une fois de trop. Notre ami Daniel Duchemin nous laisse tomber. A son tour. Daniel Duchemin appartient à l’histoire de l’Association de Culture Berbère depuis son premier âge. Il en a été un membre actif puis, durant de longues années, le trésorier. Un simple et fidèle militant, invisible comme toutes celles et tous ceux qui ont porté, organisé, accueilli, « sécurisé », conseillé…, celles et ceux qui ont donné de leur temps et de leur énergie de manière désintéressée et anonyme. Une génération s’en va. Sur la pointe des pieds. Il faudra demain être à la hauteur de ces femmes et de ces hommes, berbérophones et arabophones, Français et Algériens, jeunes et vieux… qui ont incarné notre projet, sur plus de 40 ans. Sans bruit et sans gloriole. Avec abnégation. Portés par la seule conviction d’aider à construire une société plus juste et plus humaine. Et, peut-être, par l’amitié. Surtout par l’amitié.

« Duduche » était un ami et un frère. Un Parisien « sans racines » – ce qui avait laissé incrédules un essaim de gamins qui revendiquaient haut et fort leurs origines africaines, kabyles ou autres. Lui, embrassait l’humanité tout entière. Sans romantisme ni salamalecs. Simplement. En homme libre, gouailleur et rieur, épicurien et ripailleur, affectueux et rabelaisien. Sans dieu ni maître. Parisien du cru et Amazigh de cœur.

Daniel Duchemin était à l’image de l’ACB, comme l’ACB était à l’image de Daniel : ouvert, laïc, fraternel, militant et pas moins festif pour autant. Féministe aussi, Daniel soutenait, avec force, au sein de l’ACB, les initiatives du « groupe Femmes » animé entre autres par Nathalie, sa femme, et la regrettée Nasséra Si Mohamed. Daniel Duchemin a été de tous nos combats, de toutes nos initiatives. Il était proche des personnalités qui nous ont accompagnés à commencer par Kateb Yacine, qui l’avait surnommé le « barbare gaulois ». « Barbare » comme berbère bien sûr, mais aussi comme figure du rebelle aux « impostures » civilisationnelles.

Nous perdons un ami et notre cause se réveille orpheline. Autour de l’ACB, l’espace de l’invisible devient plus peuplé que le monde visible…

Daniel Duchemin avait 71 ans. Toute sa vie professionnelle, toute sa vie a été consacrée aux autres, à la solidarité, à la construction d’une société plus attentive aux humbles, aux exclus, à l’Autre. Cette grande figure de Ménilmontant a commencé par tâter de l’alphabétisation dans les bidonvilles et les cités de transit, a travaillé dans les foyers Sonacotra avant de devenir directeur du Relais de Ménilmontant. Il a été administrateur ou simple militant de nombreuses associations de notre quartier, à commencer par l’ACB. Il a exercé des fonctions au sein du Fonds d’action sociale (FAS) ou comme élu à la Mairie du XXe. À la retraite, il a poursuivi sur la même pente, continuant à assumer des responsabilités au sein de diverses structures, notamment pour l’association Génériques dont il fut le secrétaire général.

Dans l’équipe de l’ACB, Daniel Duchemin était toujours du dernier carré à quitter nos (trop) longues soirées, mélange de joyeuses amitiés et de projets grandioses élaborés dans les brumes matinales. Ce gaillard, à la carrure d’une première ligne de rugby (ce sport qu’il avait pratiqué et aimé), à la voix de basse dont il abusait pour pousser la chansonnette – entre Aristide Bruant et Idir -, ce lutteur au physique d’Hercule paraissait indestructible. « Ceux qui s’amusent ont beau n’avoir jamais sommeil, ils n’en meurent pas moins, tout comme les autres » écrit René Crevel. Daniel Duchemin vient de partir. Trop tôt cette fois. Bien trop tôt.

Nathalie, nous sommes avec toi.

L’équipe et les ami.e.s de l’ACB