L’écrivain Luis Sépulvéda est mort le 16 avril 2020. Le 11 septembre 1973 le coup d’Etat de Pinochet le condamne, après plusieurs années d’emprisonnement à errer sur les routes de l’exil.  1973, Idir enregistre à Alger A vava inou va. En 1975, il débarque à Paris. Pendant plus de quarante ans, il ne retournera pas chanter dans son pays. « Je ne ferme pas les portes ce sont les portes qui se sont fermées » dira-t-il dans une conférence de presse donnée à Alger, le 3 janvier 2018. « Le jour où la langue amazighe a été « officialisée », je suis venu (…) ». Un coup d’Etat par ci, une politique d’arabisation synonyme de déberbérisation par là et voilà que, 47 ans plus tard, deux hommes meurent en exil, comme une illustration de l’effet papillon, l’effet de deux battements d’aile…
Emporté par une fibrose pulmonaire le 2 mai, Idir – conséquence du contexte sanitaire, réticences des autorités algériennes ou choix personnel, – devra être enterré au Père Lachaise. Les hommages, sur les réseaux, furent nombreux. Et divers, témoignant de la dimension plurielle de l’homme et de son œuvre.
« Le disque fatigué [raconte] nos racines, la nostalgie de nos parents, leur héritage culturel… A Vava Inouva, c’est un conte d’enfant mis en musique, ce sont quelques accords de guitare traçant des microsillons dans mon cœur » écrit Mabrouck Rachedi sur sa page Facebook. Nabil Louaar se souvient : « Mon père repassait « I Vava Inouva » en boucle sur un petit tourne-disque qui annonçait une incertaine modernité. Ce sont mes premiers souvenirs musicaux, tant Idir était calé dans les valises d’immigrés d’Algérie, bercés par sa mélancolie.  Idir adoucissait les exils ». Pour Nacer Kettane, Idir, « a fait découvrir et aimer la langue kabyle, la culture amazighe, l’Algérie aux quatre coins du globe ». « Moi, à cette époque, j’avais le rêve français écrit Moussa Lebkiri. Je rêvais en toutes lettres capitales, respirais toute la littérature d’un Victor Hugo, d’un Baudelaire loin de mon spleen kabyle. Son tour de chant en un tour de magie a réveillé mon âme d’un titi kabyle. Et me voilà sur le chemin de mes origines d’un Si Mohand u Mohand. » Pour Magyd Cherfi (Twitter) « un album, un seul et j’ai été poussé, mu par l’envie de savoir qui j’étais, la kabylité m’est soudain apparue comme essentielle, comme une composante de mon âme, elle rééquilibrait le gaulois qui longtemps s’était cru seul, et claudiquait sans son autre moitié. Un album et j’ai compris que je devais aller à la recherche de moi-même. Un album et la fierté s’est mue en un fil d’Ariane qui tente encore aujourd’hui le rapprochement de deux peuples, deux identités somme toutes souffrantes. Grâce à toi Idir, je deviens moi, est-ce peu ? »
Idir Hocini sur le Bondy Blog (4 mai) écrit : « la langue et la culture berbère étaient en danger de mort quand Idir, un fils de berger, chanta pour la première fois sur les ondes d’une radio d’Alger, dans ce « dialecte » honni par une dictature qui voulait la cantonner à un simple folklore pour touristes. Une comptine que les femmes chantent l’hiver à la veillée pour endormir les enfants, avant même, peut-être, que les Romains mettent les pieds en Afrique. (…) « Tu t’appelles Idir comme le chanteur ? ». Cette phrase, je l’ai entendue des milliers de fois et avec une immense fierté. Surtout qu’au fil des ans, les compositions d’Idir célébraient la diversité culturelle dans toute sa splendeur. Idéal pour bibi qui grandissait dans une France Black, Blanc, Beur que je continue de chérir. »

« Le besoin d’évoluer ou de partager une tradition n’empêche pas le respect de cette tradition parce qu’à côté de cela, je peux continuer à la travailler, lui donner plusieurs dimensions, plusieurs expressions, plusieurs facettes… L’un n’empêche pas l’autre. Dans cette dynamique, je ne vois pas pourquoi la musique kabyle ne s’inscrirait pas elle aussi dans l’universel.  Mais on peut continuer à être soi-même, comprendre les autres et, éventuellement, partager des choses. »
(Idir, Actualités et culture berbères,
n°29,1999)