Dans ADN, le dernier film de Maïwenn, la réalisatrice et actrice explore ses origines algériennes, cet héritage sans testament selon la belle formule de René Char, qui lui vient de sa mère et surtout de ses grands-parents. De son grand-père tout particulièrement : « À sa mort, je n’ai pas pu travailler pendant un an et j’ai passé beaucoup de temps en Algérie. Si cette mort me touchait autant, c’est qu’il était un pilier. Il représentait le dernier repère par rapport à un pays que je ne connaissais pas assez. Et aussi un paradis perdu. (…) Je parle de l’enfance avec eux, mon grand-père et ma grand-mère. Ce n’était que des bons souvenirs et de l’amour. Quand j’étais petite et adolescente, ils ont représenté ma seule source d’amour. Ils se sont montrés omniprésents tout au long de ma vie sans jamais me juger » (numero.com, le 9 novembre 2020, entretien réalisé par Olivier Joyard).
Sur le site du Journal des femmes, elle déclare à Mehdi Omaïs, le 22 octobre « la mort m’a réveillée. C’est comme si, d’un coup, on m’avait donné l’heure. Il a fallu que je parle avec la mort, qu’on s’explique, qu’on établisse une langue pour que je sois d’accord… La vie fait qu’on y est forcément confronté. Plutôt que de me dire que les morts vivent en moi, j’ai cherché à vivre sous le regard de mes grands-parents en donnant un sens citoyen à ma vie… Ne plus m’intéresser aux gens qui me détruisaient, à mon art, aux choses futiles… Je suis devenue une droguée des actus. J’essaye de m’enrichir l’esprit en suivant les débats politiques, en m’intéressant à l’Histoire entre la France et l’Algérie. Je suis issue de cette relation. Je voulais savoir d’où je viens. Je pense que les enfants d’immigrés dont les grands-parents ont connu la colonisation, portent le gène du colonialisme. Cela se manifeste d’une manière ou d’une autre dans notre vie de tous les jours. On dit toujours que je suis une femme engagée, rebelle… Ça vient des grands-parents ». Et de préciser : « Au bout d’un moment, je vivais énormément avec les disparus. Sans vouloir être glauque, il y a eu comme un autre monde dans mon quotidien : je cherchais à continuer le dialogue avec eux, en me posant des questions sur ce que les morts nous transmettent, comment vivre mieux avec leur absence, comment la rendre présente. Ces choses sont devenues des obsessions et j’ai eu envie d’en faire un film. Même si, au départ, j’étais si dévastée qu’un tournage me semblait impensable » (numero.com, 9 novembre 2020).
C’est dans Le Journal des femmes, que Maïwenn explique la relation qu’elle tente d’établir avec les morts : « Dans ADN, je partage une façon de faire un deuil comme il en existe tant d’autres. Il y a plein de formules. Mais rien ne m’allait. La seule qui m’a aidée, c’est celle de Michel Onfray : « La meilleure façon de vivre avec les morts, c’est de vivre sous leur regard. » En entendant ça, j’ai trouvé la première porte de mon deuil. Ça m’a parlé plus que cette idée bullshit selon laquelle les morts vivent en nous. Pour vivre sous le regard de nos morts, il faut aller les chercher, trouver le chemin pour les sentir au-dessus de nous. Il y a un labyrinthe qui n’est pas facile à trouver. »
Maïwenn ne porte pas seulement la robe kabyle de ses aïeules (voir le compte rendu de Célia Sadaï sur Africultures), dans ADN elle se rapproche, peut-être et surtout, d’un vieux culte, le culte kabyle des ancêtres, cette relation qu’établissent les vivants avec les morts, les « Invisibles » toujours présents, les Iassassen qui veillent et surveillent.
Si la formule d’Onfray fait sens pour Maïwenn c’est assurément en raison de son ADN d’algérienne (indépendamment du titre du film) dans lequel la notion d’Iassassen s’inscrit. Notion qui appartient au fondement culturel berbère que les indigènes, principalement des paysans non lettrés, ont fait prévaloir face à la puissante doctrine religieuse musulmane exogène. Ainsi est né l’Islam maraboutique qui intègre et consacre les Iassassen. Dans Les Portes de l’année (Tibbura ussegwass)[i], Jean Servier a consacré à la métaphysique du monde berbère une étude détaillée. Il énonce, dans son introduction : « Sans doute, on s’étonnera de trouver dans ces montagnes du Nord de l’Afrique, l’essentiel de la pensée méditerranéenne et de son message. (…) Les traditions populaires que j’ai recueillies attestent l’unité spirituelle du Maghreb et le rattachent intimement à la Méditerranée mieux que n’importe quel traité de sociologie ».
(suite…)